Lettre ouverte de M. Jean-Paul Gaudin, maire-adjoint sous l’ancienne mandature, à M. Denis Badré, maire de Ville-d’Avray

« Le Bonheur de vivre à Ville d’Avray »

Monsieur le Maire, Cher Denis,

La chronique que tu as signée dans le journal local du mois d’avril 2015 pourrait laisser croire que « quelques irréductibles » en désaccord avec toi sur le projet de construction de GECINA dans le domaine de la Ronce, ne veulent pas partager leur bonheur de vivre à Ville d’Avray avec les familles susceptibles de s’y installer.

Ne déforme pas les raisons qu’ils ont de s’opposer au projet. Ils s’y opposent pour des raisons de bon sens : taille, architecture et implantation incongrues des constructions, pour des règlements qui ne sont pas respectés et des analyses bâclées de documents conduisant au permis de construire.

Ne te méprend pas sur les sentiments que tu leur prêtes et qu’ils n’ont pas. Tu ne peux pas laisser penser, en écrivant dans le journal local sur lequel ils n’ont pas le droit de te répondre ou de donner leur avis (à l’exception d’un privilégié), que ceux qui s’opposent au projet sont ceux qui ne veulent pas accueillir de nouveaux venus à Ville d’Avray. Ils ne défendent pas les intérêts égoïstes que tu sembles leur attribuer ; ils veulent conserver l’environnement dans lequel ils vivent, par respect pour ceux qui ont su le préserver jusqu’à présent, pour ceux qui y habitent et pour ceux qui y habiteront après eux.

Ils contrecarrent ce projet parce qu’ils y voient de la part des décideurs et de leurs conseillers des erreurs de jugement et une insensibilité ou une indifférence au paysage et à l’évolution de la ville. Il leur semble légitime que leur maire, évite :

  • de construire autant de logements sur le même site et d’entasser125 familles là où il y en a déjà 710 ;
  • de défigurer l’environnement forestier du domaine ;
  • d’urbaniser la rue de la Ronce en y implantant 150 mètres de façades de magasins et d’appartements à quelques mètres du trottoir ;
  • d’implanter les entrées et sorties des parkings des résidents, des livreurs et des clients à proximité d’une école;
  • d’aggraver les difficultés de circulation et de stationnement rue de la Ronce ;
  • d’accepter les volontés d’un promoteur uniquement mû par son intérêt et qui se fiche comme d’une guigne de défigurer la rue ;
  • de privilégier ses droits au détriment de ceux des locataires, parce qu’ils ne sont que locataires…

Par ailleurs, il ne s’agit pas de quelques « irréductibles hostiles au projet qui auraient raison tout seuls ». Indépendamment du fait que ces termes sont déplacés sous la plume d’un maire qui désigne ainsi une partie de ses administrés, ils sont plus nombreux que tu le penses. Par suite de l’explosion de projets de constructions inadaptées à l’environnement qui surgissent rue de Marnes, avenue Thierry, rue de Sèvres, rue de la Ronce… le bonheur des riverains peut rapidement tourner au cauchemar et les quelques irréductibles peuvent devenir nombreux. D’ailleurs, comme moi, tu entends gronder l’inquiétude des habitants concernant ces projets démesurés par rapport à la taille du« village », comme tu appelais encore récemment Ville d’Avray. Leur insertion désastreuse peut définitivement défigurer les rues dans lesquelles ils seraient implantés et rendre difficile les déplacements des nouveaux occupants comme celle des riverains.

Sois convaincu que ceux qui s’opposent à ces projets, aiment leur ville et qu’ils ne souhaitent pas qu’elle soit défigurée par des architectes, des urbanistes, des bureaux d’étude qui n’y vivent pas, ne la connaissent pas et veulent faire le bonheur de ses habitants à leur place. Quelle prétention !

Ville d’Avray avait jusqu’à présent conservé son charme provincial…ses rues étroites, pentues, bordées d’arbres ou de jardins desquels débordent des frondaisons, ses propriétés anciennes qui ont été habitées par d’illustres ainés dont ils ne souhaitent pas que le séjour à Ville d’Avray soit oublié, des maisons intéressantes dîtes « remarquables ».

Ils t’alertent pour éviter que tu ne sois pas l’artisan de son enlaidissement par des constructions inappropriées et par une urbanisation inutile provoquant la mutation insidieuse du « village » en banale ville de banlieue.

Certes, il y a beaucoup de grandes résidences à Ville d’Avray, mais si tu avais le temps de flâner dans ses rues, tu ne les verrais pas car leurs bâtis souvent réalisés sans recherche architecturale sont entourés de rideaux d’arbres qui les dissimulent du regard. Les copropriétaires de ces résidences n’ont aucune envie de se priver des arbres ni des grands espaces verts qui les entourent et ils peuvent faire ce choix car ils sont propriétaires.

Pour ce qui est du domaine de la Ronce, je regrette que tu te prévales d’être passé de 190 à 125 logements et d’être arrivé à « sanctuariser » une pelouse à l’entrée du domaine! Souviens-toi, il y a 5 ans et demi, courant octobre 2009, GECINA adressait à ses locataires une enquête d’éco-quartier. Une centaine de questions portait sur l’amélioration du réseau routier et du stationnement à l’intérieur de la résidence, la valorisation et la préservation de la biodiversité et des écosystèmes, la réduction et la maîtrise des consommations d’énergie…

Tous les locataires et les commerçants du domaine étaient d’accord sur ce programme. Une seule question, énigmatique parmi les 100, portait sur un « projet de mutation concernant un centre médical, une crèche privée, des chambres d’hôtes… » . Qui pouvait s’attendre quelques mois plus tard à l’annonce de la construction de 190 appartements ? Information que tu transmettais à la surprise de tous. Les locataires et les riverains ont eu la désagréable impression d’avoir été trompés. Doivent-ils s’attendre à ce que tu leur annonces un jour proche la construction de ces équipements publics ? (ou privés ?) sur un domaine privé ?

Tu dis que GECINA a des droits à construire non contestables au plan juridique. A voir : Les permis de construire sur le domaine ont été accordés de manière dérogatoire et le dernier signé en 1963 a été bafoué puisqu’il ne permettait plus aucune autre construction future. Et puis les habitants, même lorsqu’ils ne sont que locataires, ont eux aussi des droits, notamment sur la préservation de la qualité de leur habitat et de leur environnement. Ces droits, ils en bénéficient en payant un loyer. Le propriétaire jouirait–t-il de droits particuliers qui lui permettraient de s’affranchir subitement de son contrat avec ses locataires? Les locataires qui bénéficient de ces espaces ne doivent-ils pas être défendus par le maire pour qu’ils conservent la qualité de vie dont ils jouissent jusqu’à présent ?

Pourquoi dis-tu « ne pas avoir de motif valable pour refuser les droits » de GECINA ? En tant que maire, tu as le pouvoir de poser tes conditions dès la connaissance du projet. Tu as même le devoir de veiller à la préservation du patrimoine et empêcher la dégradation de la qualité de vie des habitants lorsque ces projets les mettent en jeu. Tu peux t’appuyer sur les nombreux règlements protégeant cet environnement, notamment le SCOT suffisant pour éviter d’avoir à négocier 190 puis 160 puis 125 logements. Tu aurais pu aussi établir un PLU qui, tout en permettant de construire des logements, évite de défigurer insidieusement la ville.

Et si le maire ne se sent pas concerné par la défense du patrimoine, les habitants n’ont plus d’autre recours que de faire appel par voie de justice au respect des règlements allégrement interprétés ou ignorés. Quel dommage d’en arriver là et de s’opposer avec autant d’assurance au quart de la population de la ville.

Comment peux-tu imaginer que la rue de la Ronce urbanisée sur un tronçon de 200 mètres en incluant les vitrines et les accès aux parkings garde son charme ? L’architecte de GECINA s’est conformé à la mode actuelle des résidences cubiques avec balcons et terrasses. Les cubes serrés les uns contre les autres comme le montrent les illustrations, forment une coulée de béton de 150 mètres de longueur qui suit la pente du coteau jusqu’au bord de la rue. Des façades de magasins s’étendent sur toute cette longueur et les balcons des appartements qui longent la rue sont en encorbellement sur la façade exposée au nord !

Les entrées et sorties des parkings de livraison des magasins, des parkings des logements et des parkings des clients de la zone commerciale sont concentrées au même endroit, face à l’école. « Le très vaste espace de convivialité entre le groupe scolaire et les futures constructions » n’est pas clairement identifiable sur les plans puisque la façade la plus proche du trottoir n’en est séparée que de 6 mètres. La description que tu fais du projet donne aux lecteurs une vision trompeuse de ce que sera la réalité. Un promoteur se permet ainsi de modifier fondamentalement l’aspect d’une rue champêtre bordée de maisons avec jardin en façade et de la transformer en rue commerçante selon son bon vouloir. Des riverains, inquiets de ces constructions inattendues et incongrues, pourraient mettre en vente leurs propriétés qui pourraient être achetées par des promoteurs et construiraient à leur place d’autres résidences dans le respect d’un PLU laxiste.

J’espère que tout cela n’est qu’un mauvais rêve mais voilà comment, sans le vouloir, on peut rapidement défigurer une ville et lui faire perdre son identité. Tu t’es engagé sur le plan local de l’habitat de la communauté d’agglomération à construire 28 logements par an pendant 6 ans dont 30% de logements sociaux afin de conserver l’équilibre démographique de la ville. Très bien ! Personne ne s’y oppose si ces logements sont répartis sur toute la ville, par petites unités, à l’échelle des constructions voisines. Or ce sont 200 appartements qui se profilent à l’horizon des 2 ou 3 années à venir !

Enfin, ceux que tu dois construire, réalise-les en t’appuyant sur les conseils d’un « Architecte de la Ville » qui la connait, qui en comprend le caractère, qui l’aime et qui saura la faire évoluer de manière cohérente avec ce qu’elle est actuellement. Le cabinet d’architecture et d’urbanisme du département ne peut convenir, encore moins, l’architecte des Bâtiments de France qui se fiche de l’évolution de l’urbanisme à Ville d’Avray.

Je termine, bien qu’il y ait encore beaucoup de choses à dire sur le projet GECINA et l’enthousiasme que tu lui manifestes :

  • il « respecte le PLU » ; mais le PLU ne préserve rien ;
  • il a été « accepté par l’architecte des bâtiments de France » alors que le site fait partie d’un ensemble naturel à protéger ; celui-ci écrivait en aout 2014 que le projet « est situé dans le site inscrit désigné comme Ensemble autour des étangs Corot » et il émettait cependant un avis favorable ;
  • il a été accepté par l’autorité environnementale du préfet de région, le « gendarme national en matière d’écologie » : or dans sa décision de janvier 2014 portant obligation de réaliser une étude d’impact, le « gendarme » a considéré que « le projet était situé dans le site inscrit « Abord des étangs » et dans le périmètre de protection de 500 mètres d’une église classée…qu’il procédait d’une modification substantielle d’entités paysagères remarquables, qu’il nécessitait la destruction d’arbres de haute tige, qu’il était à proximité de la forêt domaniale de Fausses-Reposes classée en zone naturelle d’intérêt faunistique et floristique, qu’il considérait qu’il peut exister des impacts notables sur l’environnement et sur la santé humaine » ; mais 10 mois plus tard, le même gendarme écrivait à propos du dossier présenté par la ville qu’ « aucun avis de l’autorité environnementale n’ayant été formellement produit dans le délai de deux mois, la demande donnait lieu à une note d’information relative à l’absence d’observation sur le dossier » !
  • « la conclusion du rapport du commissaire enquêteur est assortie d’un avis favorable » ; il ne relève aucune contradiction entre les règlements et le projet ; il n’apporte aucune réponse aux anomalies relevées par des habitants et ne répond à aucune des questions qu’ils ont posées ;
  • « le quartier a besoin d’être rénové » : Quel quartier ? La Prairie ? Musset ? Les maisons qui bordent la rue ? Il s’agit de propriétés privées qui me semblent en bon état. Seule la résidence de la Ronce a besoin d’être rénovée ; le projet d’éco-quartier consistait justement en la réhabilitation du réseau routier et du stationnement à l’intérieur de la résidence, la préservation de la biodiversité et la réduction des consommations d’énergie… ! Celle-ci aurait dû être une condition à respecter avant d’envisager tout autre projet.

Cher Denis, tu ne m’en voudras pas de te faire part de mes remarques après la lecture de ton article. Par souci de vérité et pour informer quelques personnes, il m’a semblé nécessaire de corriger ton interprétation du projet GECINA. Elles pourraient aussi t’aider à être plus réceptif aux avis des habitants sur les projets en cours et surtout te donner l’envie de t’entourer des conseils de personnes compétentes en matière d’architecture et d’urbanisme qui sauront concilier ville contemporaine, nature et patrimoine sans faire perdre à Ville d’Avray son identité.

Amitiés.

Jean-Paul Gaudin

Le 6 mai 2015